Le groupe EDF est actuellement confronté à une équation difficile : celle de devoir investir massivement pour garantir à l’avenir la sécurité d’approvisionnement du système électrique français, intégrer les nouveaux enjeux stratégiques liés aux énergies renouvelables et pouvoir rivaliser avec les meilleurs groupes mondiaux, le tout en faisant face à sa propre dette colossale existante de 42 milliards d’euros, limitant fortement les possibilités de nouveaux emprunts sur les marchés.
En effet, le ratio regardé tout particulièrement par les agences financières de notation « Dette / EBITDA » a franchit le seuil d’alerte de 2,5 en 2019, conduisant à une vigilance toute particulière des investisseurs sur les prêts accordés au groupe EDF. Ce dernier, détenu pour mémoire à 83,7% par l’Etat français, se doit donc de trouver une solution.
Ce que prévoit le projet Hercule
Le projet Hercule est un projet avant tout financier, prévoyant de réorganiser le groupe consolidé EDF en ouvrant le capital de sous-entités « rentables », permettant au groupe en quête de liquidités d’obtenir des financements immédiatement. Il s’agit d’un démantèlement du groupe EDF et d’une privatisation de certaines parties.
Le projet Hercule prévoit ainsi la séparation de ses activités en plusieurs entités distinctes :
- EDF « Bleu »comprendrait l’ensemble des activités nucléaires ainsi que le gestionnaire de réseau du transport d’électricité (RTE) et serait détenue à 100 % par l’Etat ;
- EDF « Vert »regrouperait le réseau de distribution ENEDIS, la vente d’électricité au consommateur, les énergies renouvelables et les services énergétiques. L’entité serait en partie privatisée dans des proportions à définir mais annoncée à ce jour comme 65% détenu par EDF Bleu et 35% ouvert à des capitaux privés extérieurs.
- EDF « Azur » regrouperait ses activités hydrauliques, comprenant notamment les barrages.
Zoom sur la privatisation d’une partie d’EDF Vert
ENEDIS, concessionnaire pour les réseaux de distribution publique d’électricité, affiche une rentabilité exceptionnelle rémunérant en moyenne à 20% des fonds propres sans risque significatif (concessionnaire monopolistique, dont les coûts sont couverts par le TURPE, tarif d’utilisation des réseaux publique d’électricité, payé par tout usager sur sa facture). ENEDIS possède une trésorerie conséquente et la structure financière est très saine en raison des apports gratuits des collectivités et des provisions réalisées dans les contrats de concessions. Ainsi, ENEDIS joue un rôle absolument majeur dans la santé financière du groupe EDF, représentant 20% du résultat net courant, 25% de l’EBITDA, le tout sans endettement. Cela invite à se poser la question liée à cette rentabilité : le TURPE, payé par l’usager, est censé amener, d’après le Code de l’Energie, « une rémunération normale, qui contribue notamment à la réalisation des investissements nécessaires pour le développement des réseaux, réalisés en concertation avec les AODE ». Or sur les 5 derniers exercices connus, 52% du résultat avant impôt que le TURPE a procuré à ENEDIS est remonté sous forme de dividendes à l’actionnaire à 100% du groupe, c’est-à-dire EDF (détenu à 84% par l’Etat). 44% a été versé sous forme d’impôt sur les bénéfices également donc à l’Etat, laissant donc uniquement 4% du résultat… dans les réseaux, le but initial du TURPE. Ainsi, l’ouverture aux capitaux privés d’EDF Vert permettrait d’attirer facilement de nombreux investisseurs sur une entité rémunératrice, comportant peu de risque, et sous-tendu pour ENEDIS par des collectivités publiques et des usagers payant un TURPE qui couvre toutes les dépenses et même bien au-delà. L’ouverture annoncée est de 35%, mais l’histoire de structure similaire a souvent montré des évolutions allant par suite bien au-delà.
Les syndicats d’énergie - dont TE38 – fédérés au sein de la FNCCR se mobilisent face au projet
Dans un contexte où la distribution d’électricité n’a jamais été aussi déterminante pour assurer la pleine relance économique et s’engager collectivement dans la transition énergétique, les syndicats d’énergie se mobilisent face au projet. Leur fédération nationale, la FNCCR « déplore l’absence totale d’information des territoires, et a fortiori de concertation avec eux, en premier lieu avec les autorités organisatrices de la distribution d’électricité, pourtant propriétaires des réseaux ». S’ils ne sont pas opposés à une restructuration qu’ils jugent nécessaire, ils souhaitent être associés sur les volets les concernant afin de pouvoir garantir les prérogatives telles que la propriété des réseaux (appartenant aux collectivités), la péréquation tarifaire, un investissement toujours soutenu dans les réseaux et un contrôle pointu du concessionnaire.
Une motion a ainsi été adoptée par le Conseil d’Administration de la FNCCR le 20 janvier 2021, motion qui a été par suite soumise au vote des élu.e.s de TE38 lors du Comité Syndical du 1er mars 2021 et adoptée également à l’unanimité.